En ce mois béni du Ramadhan, il nous faut avoir une pensée solidaire pour les musulmans en Occident. Ils vivent dans des pays avancés, mais la montée de la xénophobie et du racisme est une préoccupation. Les citoyens de confession musulmane sont mis à dure épreuve. L’islam est pris comme bouc-émissaire et le musulman stigmatisé, à cause de marginaux délinquants qui usurpent le nom de l’islam.
L’islamophobie est un racisme utilisé pour détourner l’hostilité envers des politiques injustes. Construction politicienne haineuse, artificielle et obscène, elle est une diversion, nuisible pour tous, face aux impasses de notre temps. C’est un piège, une dérive, contraires aux principes des droits humains et des valeurs européennes bien comprises.
L’histoire démontre pourtant que l’Europe et l’islam ont des relations anciennes. Les deux mondes voisins sont proches et entremêlés. Notre civilisation commune est méditerranéenne, judéo-islamo-chrétienne et gréco-arabe. Les convergences sont plus importantes que les divergences. Tout cela est occulté.
Les mondes de l’Orient et de l’Occident, par-delà leurs différences, sont liés : «Les insensés parmi les hommes ne tarderont pas à dire : “Qui les a donc détournés de la direction vers laquelle ils s’orientaient pour la prière ? ” Dis-leur : “Orient et Occident appartiennent également à Dieu, qui dirige qui Il veut vers le droit chemin”» (2:142). L’islam n’oppose pas l’Orient et l’Occident. Il est universel et ouvre l’horizon de l’existence, du vivre-ensemble.
L’ignorance, la malveillance et l’hostilité marquent la posture d’une partie des intellectuels étrangers vis-à-vis de l’islam. Névrose et pathologie, indigence et paralysie, gênantes, d’autant que cette religion a prouvé qu’elle est rationnelle, universelle, hospitalière, ouverte au débat, et constitue un facteur de dynamisation des confrontations, des échanges et des interprétations dans toutes les directions entre les cultures et les civilisations.

La multi-appartenance

Aujourd’hui, malgré leurs efforts, leurs réussites, leur loyauté au pays dans lequel ils vivent et des politiques novatrices d’institutions de divers pays européens, des citoyens de confession musulmane se considèrent discriminés, accablés, voire bannis. Les dialogues interculturel et interreligieux et les actions citoyennes de solidarité peuvent contribuer au vivre-ensemble. Le destin est commun.
Au niveau de médias et de discours politiques, nous assistons parfois à un acharnement, à un dialogue de sourds et à des surenchères, au lieu de revenir à la raison et aux valeurs démocratiques pour faire face aux défis communs. A cause d’une infime minorité de mauvais adeptes, les musulmans sont stigmatisés. Mais la majorité des Européens respectent leurs concitoyens musulmans.
Des courants idéologiques divers, des ignorants haineux, pas seulement d’extrême-droite, par préjugé antireligieux, antimusulman, dénient le droit à la multi-appartenance aux citoyens de confession musulmane. C’est moins leur différence que l’islamité qui est en cause. Ils témoignent d’un rapport à la Transcendance, à l’Éthique, au Sacré, qui gêne.
Les citoyens européens de confession musulmane, en toute légitimité, revendiquent pourtant leur pleine citoyenneté, la modernité, l’égalité des chances, la fierté de leur origine et leur droit de vivre leur foi, sans aucune antinomie. Cependant, ils sont parfois renvoyés au communautarisme, à la ghettoïsation et à l’amnésie. Pourtant, ils sont européens et musulmans.
Contrairement à ce qui est colporté, les citoyens de confession musulmane ne déstabilisent pas l’identité européenne, encore moins la menacent. Ils enrichissent culturellement, humainement, cette partie de l’humanité du monde et s’enrichissent eux-mêmes. C’est un gain réciproque, une chance mutuelle, comme le démontre l’histoire à travers les temps.
Les enseignants, les intellectuels, les journalistes et d’autres acteurs sociaux, y compris les hommes du culte, sans confusion, doivent se considérer comme des médiateurs entre les humanités, les cultures, artisans de la culture de la paix, tout en assumant leurs vocation et devoirs de critique et d’éveilleurs des consciences.
Par leur présence, les citoyens musulmans reposent la question du sens de l’existence, de la transcendance, de la fraternité, des valeurs abrahamiques, que des courants matérialistes ont cru définitivement close. Les citoyens de confession musulmane soucieux de justice aspirent au démocratique.  L’Europe est-elle décidée à préserver ses fondements démocratiques et à tirer les leçons de la tragédie innommable produite par l’antisémitisme ?
L’islamophobie est une continuité de l’antisémitisme, tout en étant ancienne.  L’on feint d’ignorer que les musulmans sont devenus comme les « juifs » d’hier, stigmatisés et honnis par des xénophobes ou des réactionnaires, notamment du fait qu’ils témoignent de la religion.
Nul ne peut nier les discriminations dont sont victimes les musulmans et les problèmes de racisme. Tous ceux, croyants et non-croyants, qui défendent la laïcité, les valeurs universelles, les droits humains, la liberté, l’égalité et la fraternité, ne peuvent baisser les bras. Ils doivent redoubler d’efforts, pour mettre fin à tous les discours de haine, contribuer à la cohésion et à la paix sociales, faire reculer le racisme, garder éclairée et vigilante la demeure Europe.

L’interculturel

On ne prend pas en compte l’histoire, notamment celle dont les citoyens de confession musulmane sont les héritiers, ni leur capacité d’adaptation, leur réussite dignement acquise. L’islamophobie les nie et a pris de l’ampleur. Alors que les citoyens musulmans représentent un pan de la société et que le monde musulman est le premier partenaire économique et culturel de l’Europe, les études islamiques et l’enseignement de la langue  arabe ont reculé.
Exploitant à outrance les comportements obscurantistes de pseudos « musulmans » égarés, pourtant marginaux, produit des contradictions de la sombre crise de notre temps, des idéologues islamophobes et des marchands du Temple pratiquent l’amalgame et reprochent au citoyen musulman d’être religieux, en somme d’exister. Toute une politique de l’humanisme, du droit à la différence et de l’interculturel est abandonnée.
Ces béances produisent de l’ignorance préjudiciable au vivre- ensemble. Elles sont rarement signalées. De ce fait, dans un contexte de précarité sociale, de ressentiment et de vide, l’influence néfaste d’idéologies importées, utilisées comme masque, trompe une partie infime des jeunes, ce qui crée un effet de rejet et d’épouvantail amplifié.
Au lieu de s’appuyer sur la culture démocratique et de soutenir les nouvelles minorités dans la Cité, les jeunes des quartiers défavorisés, une partie des intellectuels « musulmans » modernistes, à la logique faustienne, et les islamophobes perpétuent les préjugés et la doxa des dominants. Alors que la diversité culturelle est une richesse pour l’Europe, l’altérité est caricaturée et refusée.
Selon les islamophobes, ce n’est pas l’héritage des citoyens de confession musulmane qu’il faut intégrer. Ils le déforment, le dénigrent. Ils disqualifient les problèmes des jeunes et les culpabilisent. Malgré ces obstacles exogènes, et des attitudes de crispation, des comportements déviants endogènes, qui sont l’exception et non la règle, l’immense majorité des citoyens européens de confession musulmane est en phase avec le monde moderne. Elle le prouve tous les jours, en fidélité à une juste compréhension de ses sources spirituelles et culturelles.
Elle a intégré l’environnement et l’époque. Elle mérite d’être encouragée plutôt que stigmatisée. D’autant que la responsabilité est partagée entre la majorité des citoyens et la minorité.  Il est injuste de demander à une seule partie de la société, de surcroît la plus vulnérable, de s’adapter, de s’intégrer, voire de se nier. Les uns et les autres ont pour devoir de mettre l’accent sur les valeurs communes, d’accepter l’altérité, de s’ouvrir, de dialoguer, de trouver des accommodements raisonnables.

Responsabilité collective

L’unité et la pluralité peuvent se conjuguer. La notion de  diversité a été galvaudée et déformée. Nul n’est monolithique, nous sommes tous d’Orient et d’Occident. Le caractère « indivisible » ou commun de l’identité nationale de chaque pays européen ne doit pas exclure le respect du pluralisme. Ce dernier ne porte pas atteinte au socle commun. Il ne s’agit pas de faire l’éloge de la seule différence, ou au contraire du seul unitaire, mais de les articuler, les étudier, les comprendre, les respecter. C’est une responsabilité collective.
D’autant que, dans la vie pratique quotidienne, les échanges et les fermentations culturelles constituent l’essentiel des relations. Malgré la propagande, les manipulations des sondages et des statistiques, les délires islamophobes, des alliances contre-nature et des appréhensions, la majorité des citoyens européens reconnaît que les musulmans sont leurs concitoyens et font partie de leur monde. L’Europe, à la pointe de la démocratie, ne peut renier ses principes et son idéal humaniste. Il faut accepter le débat.
De l’autre, les citoyens de confession musulmane, qui sont pluriels, devraient être les premiers à revendiquer la démocratie, la fraternité humaine, l’amitié et le vivre-ensemble. A s’imprégner de la culture et du récit national bien compris de la société. L’islam, qui les responsabilise, les prédispose. Ils en sont capables et le prouvent.
Pour le bien commun, les funestes « années trente » doivent rester derrière nous et non poindre à l’horizon. Il reste un avenir, dans le cadre de l’égalité des droits et devoirs, de la citoyenneté pour tous, du respect du droit à la différence, de l’interconnaissance. L’Algérie, pays de la culture de la dignité et de l’islam du juste milieu, peut donner l’exemple.

* Le Professeur Mustapha Cherif est lauréat du prix Unesco du dialogue des cultures, auteur notamment de « Le Coran et notre temps », « Le Prophète et notre temps » édition Anep, et « Sortir des extrêmes » édition Casbah.

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