Spoliation Immobilière : « La Justice au Maroc change mais le terrain reste miné », selon Me Leghlimi

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Des notaires ont récemment été condamnés pour leur implication dans des affaires de spoliation immobilière. C’est le cas notamment de Me El Arbi El Moktafi qui a écopé de 12 ans de prison pour avoir rédigé de faux documents pour spolier les héritiers de Georges Brissot, un Français ayant vécu au Maroc et décédé en 2011.
Alors que la spoliation immobilière au Maroc ne cesse de multiplier ses victimes, Me Leghlimi Messaoud, avocat engagé, reconnait « un peu » de changement au sein de la Justice marocaine, mais pointe encore des obstacles à la reconnaissance des droits des victimes.

Les affaires de spoliation immobilière au Maroc ne cessent de se multiplier. A ce jour, combien de cas ont-ils été répertoriés ?

Me Leghlimi Messaoud : La spoliation immobilière au Maroc, c’est une centaine de dossiers devant la justice, sachant qu’un dossier peut concerner plusieurs dizaines de titres fonciers. Il y a même une affaire qui contient une centaine de titres fonciers. Certains dossiers en concernent chacun 3, 5, 21 ou 50. Donc les familles victimes se comptent par milliers, réparties sur plusieurs villes du Royaume : Tanger, Marrakech, Taroudant, Agadir,… mais Casablanca est la plus concernée en raison du grand nombre d’Européens qui y a acquis des propriétés il y a un certain temps, notamment dans les quartiers Maârif, Bourgogne et Oasis.

Où en est le traitement judiciaire de ces affaires de manière générale ?

Il y a des gens qui ont commencé l’action en justice depuis plusieurs années et ça avance très bien, surtout l’affaire Brissot qui est actuellement devant la Cour d’appel [Les spoliateurs condamnés, en 2014, à des peines d’emprisonnement ont fait appel, ndlr]. D’autres cas, en revanche, sont un peu plus compliqués surtout ceux mettant en cause des personnalité, comme l’affaire Alexandro Segarra qui concerne tout un quartier à Casablanca spolié par un Français avec des complices au Maroc.

Certains dossiers mettent carrément des décennies. Les délais sont-t-ils raisonnables ?

Oui. Il faut savoir que le traitement des affaires de spoliation est d’une grande complexité. Avant, il y a 5 ou 6 ans, le comportement de la justice était très différent. La majorité des jugements était à la défaveur des victimes spoliées. Ces dernières années en revanche, des victimes commencent à obtenir gain de cause et des spoliateurs sont condamnés. Pourquoi ce changement ? Que s’est-il passé ? Eh bien il y a eu un remaniement total.

Aujourd’hui, les victimes ne sont pas les seules conscientes de l’ampleur de la spoliation. L’Etat l’est également et veut bien en finir avec ce problème, pour redorer l’image de la justice marocaine. A Casablanca, par exemple, le nouveau procureur général ne veut pas entendre parler de ces réseaux mafieux. Avant, les spoliateurs étaient intouchables, c’est pour cela que les victimes ne pouvaient pas gagner les procès. Aujourd’hui, il y a un changement. Mais c’est vrai que c’est encore difficile. Dans le cas Brissot par exemple, on a toutes les expertises qui prouvent que le testament utilisé par le spoliateur est faux. Malgré tout cela, Mustapha Him [condamné dans l’affaire Brissot, ndlr] s’acharne et essaye à tout prix de gagner son procès.

Après une concertation générale en décembre dernier, le ministère de la Justice a décidé de responsabiliser davantage le parquet général et la Conservation foncière (CF). Est-ce suffisant selon vous pour mieux lutter contre la spoliation, d’autant plus que selon l’association des victimes de la spoliation (AVS), certains éléments de la CF seraient impliqués dans ce qu’elle appelle « la mafia de l’immobilier » ?

Ce n’est pas suffisant… Prenons le cas de l’ancien chef de la conservation du Mâarif. C’est dans ce quartier que Mustapha Him a fait son travail, il a spolié presque tout le monde. Alors que l’ancien responsable a été accusé par de nombreuses victimes, et alors qu’il a fait l’objet de plusieurs plaintes et qu’il est poursuivi par le juge d’instruction de Casablanca, l’homme est toujours dans son bureau désormais établi à Ain Sebaâ après un passage à Casa-Anfa. Il exerce toujours sa fonction. Ce n’est pas normal. Quand il y a une poursuite judiciaire, le procureur général du Royaume doit agir, en mettant un terme à ses fonctions et nommer quelqu’un d’autre. Le nom de ce Monsieur apparait dans la quasi-totalité des dossiers.

Voici comment ça se passe : si je veux spolier un bien et que je ne sais pas à qui il appartient, je vais à la Conservation foncière, là où sont archivés les documents, les actes  de propriété, d’achat, de vente, d’état civil des personnes. Je m’adresse à un fonctionnaire. Soit celui-ci m’oriente vers un bien délaissé, dont personne ne parle plus, soit c’est moi qui lui demande de me donner un titre foncier précis. Je le consulte et prends toutes les informations nécessaires : nom, date de naissance, état civil… Ensuite, je vais en Italie ou en Espagne chercher le vrai propriétaire pour soit disant lui demander de me vendre le bien ou alors personnellement -avec l’aide d’autres personnes- j’établis de faux documents, faux actes de propriété, indiquant que le détenteur m’a fait don de son bien et qu’il n’a aucun autre héritier. Et très souvent l’acte, dans ce cas, est fait par un notaire qui n’a jamais vu le document en question… D’ailleurs au cours des enquêtes des affaires traitées au pénal, de nombreux notaire français ont porté plainte contre les spoliateurs dénonçant l’usurpation de leurs signature, tampon et entête par des bandits.

Je vous assure, les deux sources d’informations des spoliateurs sont le consulat de France au Maroc à l’époque et la Conservation foncière. Au Consulat, il y avait auparavant un Monsieur qui s’occupait des ressortissants Français âgés. Il avait accès aux dossiers, à la base de données et détenait donc toutes les informations. C’est lui qui transmettait les informations aux spoliateurs, notamment dans le cas de l’affaire Brissot. C’était un Français d’origine péruvienne. J’ai un document qui dit qu’il a été viré en 2008 pour « faute grave » et je comprends bien de quoi il s’agit.

Et il y’a des étrangers comme cela qui travaillent de connivence avec les spoliateurs. C’est le cas d’une Française à Marrakech qui a créé une entreprise de gestion de patrimoine des étrangers au Maroc. Quand les gens tombent sur elle, elles les orientent vers un ancien juge qui travaille désormais comme avocat et ils commencent à faire leur travail. Elle est toujours en exercice. On a porté plainte contre elle et on attend.

Dans un entretien avec L’observateur du Maroc l’année dernière, vous disiez que vous iriez jusqu’au bout des affaires que vous défendez malgré les menaces. De qui recevez-vous les intimidations ?

Elles viennent des spoliateurs et de leur entourage. Cela a commencé avec des simples remarques. Les gens me disent : « Tu défends des juifs alors que tu es musulman ». L’islam nous interdit-il de défendre des juifs ? Les avocats de Mustapha Him me disent que mon action n’est pas normale. Comment puis-je me taire face à un spoliateur avéré ?

Après les remarques, ils sont passés à l’intimidation. Ils ont créé des pages Facebook destinées à ma personne, photos à l’appui. Ils m’ont insulté, ainsi que ma mère, mes proches, disant qu’en participant aux émissions TV sur la spoliation [comme c’était le cas sur Al Jazeera, Al Arabia, France 24…], je porte atteinte à ma dignité, à mon Royaume, à mon roi.

J’assume ma responsabilité. Ce que je dis dans les médias reste soumis à la déontologie de mon métier. Je dois agir comme il se doit envers les victimes et j’irai jusqu’au bout, ça veut dire que je vais faire des efforts pour que mes clients gagnent, pour que la justice gagne, pour que le Maroc gagne. Pour moi c’est une question de principe.

Plusieurs cas ont démontré qu’une partie du circuit judicaire est impliqué dans d’importantes spoliations immobilières, en témoigne les condamnations survenues ces derniers temps (notaires, suspension de juges,…). Est-ce une bonne chose ?

C’est positif, mais il reste encore à faire. L’article 2 de la loi 39-08 relatif à la spoliation notamment reste un gros problème et une échappatoire pour les spoliateurs. Il stipule que toute transaction faite sur la base d’un faux acte est considérée comme une vraie transaction, une vrai vente, si le propriétaire n’a pas réagi pendant les quatre années suivantes. Ce n’est pas normal du tout. C’est notamment grâce à un tel article de loi que des jugements sont délivrés sur la base de faux actes. Beaucoup de gens demandent, avec raison, que cette loi soit revue et que cet article-là soit radié.

Source : yabiladi

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