Les propriétaires de biens immobiliers restent les principaux lésés par l’article 2 du code sur les droits réels tant décrié par les hommes de droit ces dernières années. Alors que l’actuelle Constitution innove en octroyant aux citoyens de faire valoir leur droit en soulevant l’inconstitutionnalité d’une loi dont dépend l’issue du procès, cinq ans après son entrée en vigueur, la loi organique afférente est toujours attendue. Voté en 2ème lecture à la chambre des représentants en juin 2014, le projet de loi organique pourrait bientôt entrer en vigueur, donnant la possibilité aux propriétaires lésés d’attaquer la loi.

« Si un bien m’appartient, c’est pour la vie, jusqu’au jour où je décide personnellement de m’en séparer », déclarait récemment dans un entretien avec Yabiladi Me Leghlimi Messaoud, avocat au barreau de Casablanca et grand défenseur des victimes de la spoliation immobilière au Maroc. Mais les cas de spoliation se sont multipliés ces dernières années à travers le Royaume en général et tout particulièrement à Casablanca.

Article 2 de la loi 39-08 contre Articles 21 et 35 de la Constitution

Jusqu’à présent, une des plus grandes failles pour les spoliateurs se trouve dans la loi 39-08 portant Code des droits réels. L’article 2 alinéa 2 stipule : « […] Les annulations ou modifications ultérieures ou radiations du Titre foncier ne peuvent être opposées ou préjudicier aux tiers inscrits de bonne foi sauf si le titulaire du droit a subi un préjudice par suite d’une falsification ou faux et usage de faux à condition toutefois qu’il ait porté plainte en vue de réclamer son droit dans un délai de quatre ans à compter de la date d’immatriculation objet de la demande d’annulation, modification ou radiation ». A noter qu’il s’agit là d’une traduction non officielle réalisée par un cabinet d’avocats marocain, car le Code des droits réels -édité en arabe- n’a toujours pas été traduit par les autorités.

Avocats, juristes, hommes de droit et même la société civile dénoncent depuis quelques années l’inconstitutionnalité de cet article de loi qui privilégie les droits de l’acheteur de bonne foi d’un bien spolié au détriment de son propriétaire originel. En effet, que dis la Constitution ? L’article 21 stipule que « toute personne a droit à la sécurité de sa personne et de ses proches, et à la protection de ses biens. Les pouvoirs publics assurent la sécurité des populations et du territoire national, dans le respect des droits fondamentaux garantis à tous ». De plus, l’article 35 alinéa 1 déclare que « le droit de propriété est garanti. La loi peut en limiter l’étendue et l’exercice si les exigences du développement économique et social du pays le nécessitent. Il ne peut être procédé à l’expropriation que dans les cas et les formes prévues par la loi ».

« On voit donc bien que l’article 2 de la loi 39-02 porte atteinte à un droit bien défini dans la Constitution », commente dans un entretien avec Yabiladi, Hassan Ouazzani Chahdi, professeur honoraire de Droit Public à la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales-Université Hassan II Aïn Chok de Casablanca, qui cumule de nombreuses responsabilités dans le domaine du droit. Il est notamment membre de l’Association marocaine de droit constitutionnel, conseiller auprès du Conseil Constitutionnel et membre du comité juridique international pour le projet de création d’une cour constitutionnelle internationale.

L’amendement proposé par le PJD et l’UC reste inconstitutionnel

Face aux nombreuses critiques et aux appels à l’abrogation de cet article de loi, un amendement a été proposé en mars 2016 par le PJD et l’Union constitutionnelle (UC) pour faire passer de 4 à 10 ans le délai accordé au propriétaire de biens immobiliers pour réclamer la propriété de son bien, même en cas de spoliation. Les discussions autour de ce projet devaient débuter le 23 mai dernier, mais elles ont été reportées pour cette semaine. « Lundi dernier, plusieurs projets de loi ont été présentés. Les discussions n’ont pas pu être ouvertes », indique à Yabiladi le parlementaire PJD Abdelatif Ben Yacoub.

Dans le milieu de la justice cependant, on considère que l’amendement du PJD et de l’UC pourrait « limiter les dégâts », mais reste inconstitutionnel. « Cela revient au fait que le propriétaire qui n’a pas vérifié sa propriété pendant dix ans est considéré comme fautif. Pourtant c’est lui que la loi doit privilégier et non le nouvel acheteur du bien spolié », explique Me Leghlimi.

Le projet de Cour constitutionnelle en marche…

Dans ce cas, que peut faire le propriétaire lésé ? La Constitution répond à cette question. En effet, l’article 133 stipule que « la Cour constitutionnelle est compétente pour connaitre d’une exception d’inconstitutionnalité soulevée au cours d’un procès lorsqu’il est soutenu par l’une des parties que la loi dont dépend l’issue du litige porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution. Une loi organique fixe les conditions et modalités d’application du présent article de loi ».

Et cette loi organique qui transformera le Conseil constitutionnel en Cour constitutionnelle a été votée en deuxième lecture par la chambre des représentants en juin 2014. « Nous sommes actuellement dans la phase finale de l’élection des membres de la Cour constitutionnelle. Ce vendredi marquera la clôture des candidatures des deux chambres », indique à Yabiladi Abdellah Bouanou, président du groupe PJD à la chambre des représentants.

…Positif pour les propriétaires lésés

Selon l’article 130 de la Constitution, la Cour constitutionnelle sera composée de 12 membres, dont six désignés par le roi et six autres élus, moitié par la chambre des représentants, moitié par la chambre des conseillers. Au niveau de la première chambre, « nous avons pu trouver un consensus. Le PJD et l’Istiqlal ont chacun un candidat pour 9 ans. Le PAM et le RNI ont chacun un candidat pour 6 ans, tandis que l’USFP et le Mouvement populaire ont chacun un candidat pour 3 ans », explique M. Bouanou. Après la chambre basse du Parlement, le projet de loi devrait arriver à la chambre des conseillers

« Le jour où cette loi va passer, ce sera une grande avancée pour le Maroc », affirme le Professeur Ouazzani-Chahdi. « Tout citoyen pourra lors d’un procès directement soumettre l’exception d’inconstitutionnalité d’un texte de loi », ajoute-il. D’après lui, le projet de loi organique relatif à la Cour constitutionnelle faisait partie des cinq projets de loi abordés en Conseil de gouvernement jeudi dernier et dont l’entrée en vigueur est imminente. « Avec les élections qui approchent à grand pas, le gouvernement doit absolument terminer sa législation en beauté », glisse-t-il.

Source: yabiladi

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