La ville blanche est en train de devenir un foyer de consommation d’héroïne qui n’épargne aucune catégorie sociale. Choses vues dans un des quartiers où le trafic fait des ravages. Un récit inquiétant.
L’auteur de ces lignes s’est rendu dans le quartier de Jbel Derssa dans la ville de Tétouan qui à l’instar d’autres quartiers populaires connaît une explosion du trafic de cette drogue mortelle. Au vu et au su de tout le monde, des dealers fournissent une cohorte interminable de toxicomanes qui ne sont que la partie visible de ce problème de société qui n’épargne plus le Maroc.
Accompagné par un gardien de voitures lui-même toxicomane, nous apprenons que plusieurs centaines de drogués s’approvisionnent chaque jour auprès de ce point de vente improvisé.
Pour arriver au trafiquant, il nous faut d’abord escalader à pied une colline sur une piste défoncée pour arriver à un promontoire avec une vue imprenable sur les environs et donc sur toute force de police qui voudrait contrarier ce juteux trafic.
Pour éviter de se faire arrêter, le dealer est assisté de plusieurs guetteurs et comme si cela ne suffisait pas, nous remarquons accroché à son épaule un étui noir renfermant un sabre qui ressemble de loin à s’y méprendre à une mitraillette.
La scène est digne des documentaires retraçant l’ambiance des grandes capitales mondiales du trafic de drogue comme Kaboul ou Medellin où la misère humaine et les rapports de force prédominent.
Une vingtaine de personnes font patiemment la queue afin de satisfaire le manque d’héroïne qui se lit sur leur visage. Certains désargentés vont jusqu’à proposer leur téléphone en échange d’une dose ou promettent leurs grands dieux qu’ils rembourseront leur crédit très vite si le trafiquant leur fait confiance. Impitoyable et menaçant, le dealer les refoule systématiquement en ne faisant pas cas de leur pitoyable état.
Il tient un énorme sac transparent rempli de plusieurs centaine de doses d’héroïnequ’il n’hésite pas à exhiber comme s’il s’agissait de marchandises légales. Méfiant à l’égard de ses clients qui pourraient être tentés de le voler, il exhibe ostensiblement son sabre de samouraï pour les intimider.
En quelques minutes, les clients sont servis et d’autres toujours plus nombreux arrivent dans un flot ininterrompu pour acheter des papelas (doses) vendus à 50 DH représentant 1/10 de gramme d’héroïne.
Les consommateurs qui la fument, l’injectent ou la sniffent par voie nasale sont tranquilles quelques heures avant de se résoudre à trouver d’une manière ou d’une autre l’argent nécessaire pour calmer le phénomène de manque.
Au final, il leur faut trouver l’équivalent de 250 DH/jour soit près de 7.500 DH par mois pour n’assouvir que leur consommation de stupéfiants. Les vols et les agressions consécutives ne manquent pas d’entraîner de gros problèmes d’insécurité car un héroïnomane malade est prêt à tout pour calmer son manque.
Le dealer nous révèle qu’il vend aussi des grammes aux toxicomanes plus aisés pour un prix de 350 DH et que ce prix tombe à 250 DH à Tanger. Ayant appris que nous venons de Casablanca, il assure qu’il faut en profiter car le gramme d’héroïne coûte 600 DH dans la capitale économique.
Les trafiquants qui vendaient avant du haschich ont préféré se reconvertir dans ce business bien plus lucratif. Ils l’achètent à petit prix dans l’enclave de Sebta et la font rentrer au Maroc grâce aux milliers de contrebandiers qui ne font l’objet d’aucun contrôle à la douane ou si peu.
La ville de Tétouan est devenue un véritable supermarché de la drogue car l’héroïne est disponible de 7 heures à 3 heures du matin dans tous les quartiers de la ville blanche, selon nos sources.
Soulignons que la cocaïne est tout autant disponible dans les quartiers populaires de Tanger et de Tétouan. La propagation de ces deux drogues a simplement suivi les réseaux de trafic de cannabis. Les mafieux étrangers désireux de s’approvisionner en haschich en grande quantité ont proposé à leurs homologues marocains de les payer en contrepartie d’héroïne et de cocaïne. Les trafiquants y ont vu une occasion de développer leur business et en quelques années, ils ont réussi à créer une demande intérieure.
Soulignons que l’héroïne entraîne au bout de quelques prises une rapide et sévère dépendance physique qui ne peut se soigner qu’en milieu hospitalier. La cocaïne quant à elle provoque une dépendance physique qui nécessite aussi une hospitalisation. Soulignons qu’à Tétouan, il n’existe pas de véritables centres de substitution à même de traiter les victimes de ces dépendances.
Interrogés par nos soins, un membre de la brigade des stupéfiants s’est dit dépassé par cette nouvelle offre qui empoisonne la jeunesse de Tétouan. Il dénonce pêle-mêle un manque d’intérêt des pouvoirs politiques et des effectifs spécialisés peu nombreux pour décapiter des réseaux mafieux.
Au vu de la banalisation de cette drogue extrêmement addictive, fruit du manque de perspectives sociales, ce trafic qui a de beaux jours devant lui est en passe de constituer une véritable bombe à retardement en termes de santé publique et de sécurité nationale.