Après la Tunisie du Jasmin, le Roi Mohammed VI s’envolera le 10 juin pour la Russie du Muguet, 
Mais ce déplacement royal chez « Vova » (diminutif familier de Vladimir) Poutine n’aura rien d’une balade champêtre et s’inscrit dans le cadre désormais bien défini de la politique extérieure du Royaume, faite d’engagements et de contacts tous azimuts, sur la majeure partie du globe.
Bien évidemment, ce séjour aura incontestablement une portée économique. En effet, le Maroc et la Russie entretiennent des relations soutenues en ce domaine et notamment dans le secteur halieutique, les deux pays ayant récemment renouvelé l’accord de pêche qui les lie depuis très longtemps, mais aussi dans ceux du transport, avec la liaison RAM Casablanca-Moscou, de l’énergie, du tourisme où l’on constate un engouement croissant des citoyens russes pour Marrakech et Agadir, ou encore le domaine agrumicole avec les forts volumes de clémentines, oranges et autres tomates exportés chaque année vers la Russie.
Équidistance
Pourtant, cette dimension incontournable des relations bilatérales sera sans doute quelque peu minorée par la portée politique et diplomatique de la visite du Souverain au pays de Pouchkine et de Tolstoï, parce que Moscou considère le Maroc comme « un partenaire stratégique ».
Cette appréciation est née d’ailleurs d’une grande attention portée sur la situation au Maghreb et en Afrique.
Les fonctionnaires de M. Lavrov, (le ministre russe des AE) ne peuvent ignorer que le Royaume est aujourd’hui quasiment le seul havre de stabilité et de sécurité dans une vaste région qui va des confins égyptiens aux rives de l’Atlantique, englobant la zone saharo-sahélienne, l’Afrique de l’Ouest et Centrale, l’Afrique du Nord, etc.
C’est sans doute pour cela que la position de la Russie concernant la question du Sahara marocain, a toujours été très « balancée », très équilibrée, au grand dam d’ailleurs de l’Algérie qui « crache » chaque année des milliards de dollars en armements russes de toutes sortes.
Moscou, membre permanent du Conseil de Sécurité, fait partie de ceux qui soutiennent donc la ligne officielle de l’ONU, ce qui, en vérité, ne contrarie nullement Rabat qui n’en demande pas plus afin d’obtenir chaque année le renouvellement du mandat de la MINURSO dans les termes initiaux de la résolution qui avait institué cette force d’interposition entre les FAR et les éléments armés des séparatistes basés à Tindouf, au début des années 90 du siècle dernier.
Mais là n’est pas le seul élément qui confère à la visite royale une dimension d’importance.
Puissance impériale
Vladimir Poutine, « maitre de toutes les Russies », est aujourd’hui l’homme fort, non seulement dans son pays, qui couvre au demeurant un cinquième des terres émergées de la planète, mais en Europe et à l’échelle mondiale.
Il tient la dragée haute à Barack Obama sur la question ukrainienne, au point de faire taxer ce dernier de « timoré et de faible », traite d’égal à égal avec la Chine et le Japon et s’essaye, avec quelque succès il faut le dire, à conserver intact le « glacis stratégique » autour de la Russie et qui portait autrefois (jusqu’en 1991) le nom d’Union des Républiques socialistes soviétiques…
C’est ce « nouveau tsar », admiré en secret par Angela Merkel ou Nicolas Sarkozy, que le Souverain marocain va rencontrer, afin d’approfondir et d’élargir un partenariat qui est porteur de belles potentialités et opportunités.
Car s’il s’agit pour Rabat de faire feu de tout bois et de marquer une présence solide à l’international, pour Moscou, c’est la volonté de puissance, quasiment impériale, qui commande de tisser des liens pérennes avec la puissance régionale et même continentale que le Royaume constitue désormais.
En face du FSB…
Car les Russes, sachons-le, sont de redoutables pragmatiques ! Certes, ils vendent des avions, des tanks et des sous-marins à l’Algérie, mais ils ne peuvent ignorer que ce pays, central dans la région maghrébine, est en train de mourir à petit feu faute de relève au niveau de sa classe dirigeante.
Au département des affaires internationales, au bout de l’Arbat, ce quartier historique de la capitale russe, juste en face du siège du FSB (ex-KGB…), on voit avec intérêt le Royaume traverser sans grand dommage un « printemps arabe » qui a dévasté la Tunisie, l’Egypte, la Libye et la Syrie, qui confie la responsabilité de l’exécutif à une équipe dirigée par un « islamiste soft » et où figurent les héritiers locaux de Vladimir Ilitch Lénine, qui jouit d’une belle stabilité sous la direction active et dynamique d’un Roi encore jeune, en déplacements constants, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays.
À l’est du Maroc, l’Algérie, riche de ses ressources pétrolières et gazières, qui lui permettent certes de payer fort pour la paix sociale intérieure, d’effacer la dette d’États africains démunis, de tendre son chéquier à la Tunisie désargentée, de constituer des arsenaux qui font de l’ANP une armée mieux pourvue que ses homologues espagnole, sud-africaine, égyptienne.
Mais son Président, Abdelaziz Bouteflika se « meut » en fauteuil roulant, n’a plus la force physique de prononcer des paroles à haute et intelligible voix, n’arrive même pas à apposer son pouce sur un tampon encreur dans un bureau de vote.
Et les Russes, répétons-le, sont de redoutables pragmatiques…
A choisir entre un régime finissant et l’étoile montante du continent africain, le Kremlin n’hésite pas et ouvre grand les portes au Roi Mohammed VI…
Quant à Boutef, qui comprend parfaitement ce qui se passe, qui a le tournis à regarder vers Paris, Madrid, Washington, New York, Dakar, Abidjan, Bamako, Libreville, Bangui, Tunis, Moscou et très bientôt Pékin, que lui reste-t-il à faire sinon de tendre le pied à l’un de ses factotums pour tenter d’ôter de sa godasse ce sacré caillou que le Maroc est devenu pour lui !
Fahd YATA lnt.ma
