Pour sa première sortie médiatique en soutien au candidat Ali Benflis, le colonel Ahmed Bencherif, ancien commandant en chef de la gendarmerie nationale, a jeté un véritable pavé dans la mare. Il affirme, lors d’une conférence de presse animée au siège de la permanence de campagne de Ali Benflis, que “Saïd Bouteflika d’être à la tête” d’une mafia politico-financière qui a pris le pouvoir en Algérie depuis la maladie de mon ami Abdelaziz Bouteflika.
Pis, le moudjahid, aujourd’hui âgé de 86 ans, estime que ”Bouteflika est inconscient”. Brandissant son téléphone portable, le vieux maquisard révèle que : “J’ai le numéro personnel d’Abdelaziz Bouteflika sur cet appareil. Je l’ai appelé plusieurs fois ces derniers temps. Il n’arrive même pas à parler au téléphone. Il est “complètement inconscient.” Le vieux militant, qui perd parfois le fil conducteur, atteste qu’il “y a vacance de pouvoir en Algérie”.
”Un AVC ne pardonne pas. Il laisse des séquelles irréversibles”, a-t-il affirmé. Pour apporter les preuves de ce qu’il avance, l’ancien colonel donne l’exemple de 5 personnes de sa famille qui ont eu la même maladie. “4 sont morts et le 5ème est incapable de parler”.
Ahmed Bencherif est également remonté plus loin dans l’histoire et a évoqué le passé de Bouteflika. “Bouteflika n’avait passé que 7 jours au maquis”, dit-il. Le reste, témoigne encore l’ancien ministre de l’Agriculture, “Bouteflika l’a passé aux frontières avec Boumediène”. Revenant sur l’élection d’avril prochain, Ahmed Bencherif prévoit un vote en faveur de Ali Benflis. Mais, poursuit-il, “il ne faut pas se faire d’illusions. La machine de la fraude est toujours là”. En cas de de fraude, l’ancien moudjahid, appelle à “une manifestation
pacifique à Alger pour dénoncer la fraude”.
Pourquoi Bouteflika a déjà gagné
Pour quelles raisons Abdelaziz Bouteflika souhaite-t-il exercer un quatrième mandat, malgré son état de santé ?
Bouteflika veut mourir en fonction et s’inscrire dans la lignée de Houari Boumediene, et non pas dans celle de Ahmed Ben Bella, qui fut destitué par ce dernier et dut partir en exil. On est dans l’égo d’un président qui souhaite bénéficier d’un hommage à la hauteur de ce qu’il croit avoir apporté à l’Algérie. Cette explication surprenante avait circulé lors de la campagne précédente, elle est aujourd’hui explicite. Cela remonte à la mort de Boumediene, dont il était le numéro 2: l’armée lui avait alors préféré Chadli Bendjedid, l’officier le plus âgé. Bouteflika n’a jamais pardonné à l’établissement militaire cet affront.
Pourquoi dit-on qu’il a déjà gagné ?
Il a déjà gagné parce que les principaux groupes d’intérêts qui structurent le système politique algérien ont publiquement annoncé leur choix en sa faveur: l’armée, le FLN, l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA), la société gazière et pétrolière Sonatrach, les administrations… Pour ces groupes d’intérêts, qui ont une perception de l’Algérie assez proche de la sienne, Bouteflika est un président tampon qui permet de maintenir l’équilibre en donnant à chacun ce dont il a besoin. Les militaires ont besoin d’argent ? L’Algérie est dans le top 20 des pays qui consacrent le plus de moyens à la défense. La Sonatrach ne veut pas être privatisée ? Elle reste publique. Les syndicats ont des revendications ? On augmente les salaires… Cela représente 4 à 5 millions d’électeurs actifs qui trouvent ce système tout à fait acceptable, intéressant, voire lucratif. Sans compter ceux qui en profitent indirectement : ces dernières années, les différents gouvernements ont versé plus 60 milliards de dollars en dépenses sociales diverses, des cadeaux afin d’acheter la paix. Tous ces groupes partagent l’idée que ce n’est pas le moment de penser le changement, à la mode tunisienne ou égyptienne.
Pour le pouvoir en place, la stabilité est le seul argument de campagne…
C’est le seul qui permet d’obtenir un brin de légitimité. Le pacte électoral que propose Bouteflika offre la garantie que le pays ne sera ni la Syrie ni la Libye ni l’Egypte. Son programme se résume à cet unique message : l’Algérie ne veut pas devenir la Tunisie parce qu’elle a sa propre histoire ; en revanche, le pays peut connaître une situation à la syrienne, à l’irakienne ou à la libyenne, il en a déjà fait l’expérience, donc je propose la stabilité. C’est assez incroyable parce que cela ressemble, à un niveau différent, à ce qu’offre le Maroc. On assiste à un phénomène de quasi dressage des citoyens, auxquels le régime donne un tout petit peu de liberté avec l’espoir que le peu qui est accordé ne soit pas utilisé contre les groupes d’intérêts, mais pour élargir sa base sociale.
Ce système n’offre guère de perspective de développement…
L’Algérie peut se permettre une telle lenteur économique, voire une telle paralysie politique, parce qu’elle dispose de revenus pétroliers et gaziers importants : ses exportations rapportent 50 milliards de dollars par an. Par ailleurs, le pays possède 200 milliards de dollars en réserve. Même en cas de retournement du marché pétrolier, Alger pourrait maintenir le niveau actuel des importations et les charges de l’Etat pendant au moins cinq ans. On le souligne rarement : le régime peut se maintenir ainsi grâce à un prix élevé du baril de pétrole – autour de 100 dollars. Aucun des prédécesseurs de Bouteflika n’a bénéficié d’une situation comparable. Beaucoup, en Algérie, soulignent que cette manne pourrait servir à développer des infrastructures, à investir dans l’éducation, à développer des secteurs nouveaux et créateurs d’emploi et de richesse. Son principal opposant, Ali Benflis, propose un programme plus libéral, en espérant développer des secteurs économiques alternatifs. Mais les groupes d’intérêts ne le soutiennent pas.
Tout changement est-il donc impossible ?
Non, on l’a vu en 1988, lorsque le FLN s’est effondré. On pensait cela impossible comme on le pensait de l’URSS ! En Algérie, l’armée est l’acteur principal de l’appareil d’Etat. Sans elle, il est extrêmement difficile de penser le changement. Si elle devait considérer, demain, que la cohésion nationale est mise en danger par la présidence de Bouteflika, elle ne prendra pas trop de gant pour stopper cette évolution, en acceptant un coup d’Etat institutionnel. La seule fois où elle a échoué à maintenir la cohésion, elle a eu une guerre civile, où elle était en première ligne. Elle ne veut plus jamais revivre cela.
Comment comprendre les luttes d’influence de ces derniers mois entre l’état-major et le Département du renseignement et de la sécurité (DRS) ?
Le DRS est un groupe d’intérêts puissant, au même titre que l’armée. Aucun d’eux n’a remis en question le processus de sélection du président, mais la personne de Bouteflika fait l’objet d’une interrogation depuis qu’il n’est plus en mesure d’assumer sa charge. Car son incapacité a laissé la place à son entourage, lequel utilise le pouvoir du président à des fins que chacun redoute. Les attaques ont commencé quand Bouteflika était à l’hôpital à Paris, l’an dernier. Certains de ses proches ont eu peur, d’autres sont partis aux Etats-Unis, comme le directeur de la Sonatrach et ancien ministre de l’énergie. Mais voilà, le fait que Bouteflika revienne a déstabilisé ceux qui le croyaient hors-jeu. Depuis, les uns suspectent les autres d’avoir des agendas cachés, notamment si le président devait décéder dans un ou deux ans.
Les électeurs se mobiliseront-ils ?
Une forte abstention est à prévoir. Si l’on se base sur un taux de participation de 40 à 50% (il était de 35% la fois précédente), la mobilisation de 4 à 5 millions de partisans suffit largement à Bouteflika pour l’emporter haut la main. Si, par extraordinaire, 15 millions d’électeurs se ruaient aux urnes, plus personne ne pourrait faire de pronostic. Ce serait la meilleure réponse des Algériens et Algériennes à une telle construction politique. Mais on s’oriente plutôt vers le boycott et la résignation.
Luis Martinez organise, le 11 avril, un colloque dont le thème porte sur les enjeux nationaux et régionaux de l’élection présidentielle en Algérie. Plus d’informations sur le site du Ceri-Sciences Po.