ONG, médias et politiques ont été unanimes à saluer l’abrogation mercredi, au Parlement, de l’alinéa 2 de l’article 475 du Code pénal marocain. L’interprétation “erronée” de cet alinéa permettait à des juges de forcer une mineure violée à épouser son bourreau. Dorénavant, en cas de plainte, tout détournement ou viol de mineure est passible de peine de prison. Une décision qui n’occulte pas le scepticisme affiché quant à la lutte contre la violence faite aux femmes au Maroc.
Près de deux ans après le suicide le 10 mars 2012 d’Amina Filali, contrainte d’épouser son violeur en toute légalité, le Parlement marocain a voté mercredi, l’amendement du Code pénal afin que l’auteur d’un viol ne puisse plus échapper à la prison en épousant sa victime. Une brèche “assassine”, que permettait l’alinéa 2 de l’article 475 du Code pénal.
La décision a été saluée unanimement par les ONG, les médias et les politiques, mais des inquiétudes demeurent, notamment quant au mariage des mineures, mais aussi quant à la lutte contre les violences faites aux femmes d’une manière générale.
“C’était un article absurde et assassin. On ne peut qu’applaudir suite à ce vote, puisque ça a duré longtemps et ça a donné l’occasion à plusieurs frustrés sexuels d’être libérés après un acte (viol) aussi cruel . Mais il y a encore beaucoup de choses à faire”, nous a confié Laïla Naji, une avocate qui milite pour les droits des femmes et membre de l’ONG Avaaz.
Idem pour Saadiya El Bahi, députée de l’Union socialiste des forces populaires (USFP) et secrétaire générale nationale de l’Union de l’action féminine (UAF). “Nous avons milité depuis plusieurs années pour l’abrogation de ce deuxième alinéa de l’article 475. Une partie qui a toujours représenté une vraie violence faite aux femmes. Nous sommes fières de cette abrogation, mais il y a toujours des femmes qui souffrent quotidiennement avec leurs époux-violeurs”, regrette-t-elle.
Révision du Code pénal et du Code de la famille
Laïla comme Saadiya demandent, pour lever tout équivoque, un “changement radical du Code pénal marocain” mais aussi une révision du Code de la famille, la fameuse ‘Moudawana’.
“Dans la perspective d’un changement radical du Code pénal, et d’une loi spéciale contre la violence à l’égard des femmes, la lutte et la mobilisation vont se poursuivre. Nous avons besoin d’une loi globale, protectrice et qui garantisse que les violeurs n’échapperont plus”, assure Saadiya El Bahi.
Laïla Naji quant à elle, s’attaque carrément à la Moudawana, afin d’en finir en premier lieu avec “toute ouverture au mariage de mineure”. Pour elle, “il faudrait au niveau de la Moudawana, supprimer complètement les articles 20 et 21, afin qu’il n’y ait plus un risque, même minime, pour marier une mineure”.
Sa requête est logiquement recevable si le Maroc veut combattre le mariage des mineurs car l’article 20 de la Moudawana stipule :
“Le juge de la famille chargé du mariage peut autoriser le mariage du garçon et de la fille avant l’âge de la capacité matrimoniale prévu à l’article 19 ci-dessus (18 ans, ndlr), par décision motivée précisant l’intérêt et les motifs justifiant ce mariage (…) La décision du juge autorisant le mariage d’un mineur n’est susceptible d’aucun recours”.
Article 20 de la Moudawana.
Quant à l’article 21, il soutient: “Le mariage du mineur est subordonné à l’approbation de son représentant légal. L’approbation du représentant légal est constatée par sa signature apposée, avec celle du mineur, sur la demande d’autorisation de mariage et par sa présence lors de l’établissement de l’acte de mariage. Lorsque le représentant légal du mineur refuse d’accorder son approbation, le juge de la famille chargé du mariage statue en l’objet”.
Discriminations à l’égard de la femme
Ces deux articles illustrent à bien des égards, la nécessité d’harmoniser les textes du Code pénal à ceux du Code de la famille, qui regorgent de contradictions et de discriminations.
Toujours selon Laïla Naji, le fait que la Moudawana fasse le distinguo entre “la fille vierge et une fille non-vierge” est en lui-même “une discrimination absurde”, qui dissuade certaines femmes violées de porter plainte.
“Dès qu’elle le fait, sans preuve de viol, elle rentre dans l’article qui concerne la débauche et elle devient, elle-même, coupable”, explique l’avocate.
Laïla Naji ne manque pas de souligner qu’un enfant né d’un viol qui n’est pas suivi d’un mariage est illégitime, selon la loi.
Revenant à la nécessité de réviser le Code pénal marocain, Laïla Naji attire également l’attention sur l’article 496 de ce code, qui punit “quiconque sciemment cache ou soustrait aux recherches, une femme mariée qui se dérobe à l’autorité à laquelle elle est légalement soumise”.
À ses yeux, cet article porte préjudice aux femmes et en particulier aux femmes victimes de violences, et ce à deux niveaux : “le premier, c’est que les associations qui disposent de centres d’accueil sont dans l’illégalité, puisqu’elles n’ont pas le droit de protéger et de prendre en charge les femmes victimes de violences. Et le deuxième, c’est que l’article énonce clairement que la femme est soumise… Et cela remet en cause toutes les dispositions qui ont été mises en place” !
Toutes ces remarques et d’autres encore, liées à la lutte contre la violence faite aux femmes, font qu’au-delà de l’enthousiasme né de l’abrogation de l’alinéa 2 de l’article 475 du Code pénal, les femmes marocaines restent pessimistes et sur le pied de guerre.
Car, au-delà même de tout cadre légal, c’est en somme la question du respect pur et simple de la femme qui est en jeu, et cela passe par un changement radical des mentalités.