La vie après le Haj…

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De retour du Haj, beaucoup changent leur mode de vie, mais pas toujours dans le sens désiré par l’entourage. Certains haj ou hajja s’isolent, d’autres imposent des changements radicaux à leurs familles ou développent un sentiment de supériorité. Le retour aux vieilles habitudes n’est pas rare : alcool, cigarettes…

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Le pèlerinage à la Mecque est une expérience unique, un ultime rite avant le «grand voyage», le couronnement d’une vie. Tout le monde s’accorde sur cette place importante qu’occupe le Haj dans la vie des musulmans. Mais si les rites sont identiques pour tous les pèlerins, l’expérience n’est pas toujours vécue de la même manière. Et, surtout, la vie après le Haj n’est pas du tout la même pour tout le monde.

De la «niya» pour valider la «taouba»

«Ce qui est exceptionnel, c’est le sentiment de paix que l’on éprouve dans ces Lieux Saints. C’est vraiment indescriptible. Toute cette masse de femmes et d’hommes qui viennent du monde entier pour chercher le Pardon divin. Cette expérience a définitivement marqué ma vie», assure Nabil Benkirane, la soixantaine, avocat de son état. Ce que le Haj permet à tout musulman, c’est l’absolution de tous ses péchés depuis sa naissance. Une sorte de vie nouvelle s’ouvre devant le haj et la hajja. «Il faut bien sûr faire preuve de niya (foi) afin que l’expérience du pèlerinage soit synonyme de véritable taouba (repentance). Ce sont des conditions primordiales d’un pèlerinage réussi», explique notre avocat. Et d’ajouter : «Au retour des Terres saintes, on est comme un nouveau-né, à condition de mettre un terme aux vices et aux mauvaises intentions».

Encore faut-il avoir la chance de faire partie des heureux élus pour le pèlerinage. Car le Haj est régi par un système de quota qui, depuis 2007 et par tirage au sort, permet à un nombre déterminé de Marocains de se diriger vers les Lieux Saints. Les autorités saoudiennes ont fixé un même barème  pour tous les pays arabes et musulmans : 1000 pèlerins pour un million d’habitants. Ce qui fait que le quota pour le Maroc est de 32000. Un nombre insuffisant devant une demande nettement plus élevée. La situation a même pris une tournure fâcheuse cette année. Ils sont 6 400 à avoir réussi l’épreuve du tirage au sort pour 2013, mais ils ne sont pas partis pour autant à la Mecque. Et pour cause: une décision des autorités saoudiennes, prise trois mois avant le début du Haj, de réduire de 20% le quota des pèlerins de tous les pays. Cela est dû aux travaux d’extension des Lieux Saints de la Mecque et de Médine. Et ce, afin «de pouvoir, les années à venir, recevoir dans les meilleures conditions, les millions de pèlerins», indique-t-on du côté saoudien. Une situation qui a créé de sérieux problèmes aux voyagistes. «Le système du tirage au sort est vécu comme une épreuve par ceux qui ont soumis une demande pour le Haj. J’ai été témoin de scènes hystériques et même d’évanouissements quand une personne ne trouve pas son nom sur la liste des élus. Quant à la décision saoudienne, arrivée trop tard, elle nous a causé beaucoup de soucis, tant sur le plan humain qu’administratif et financier», confie ce directeur d’une agence de voyages, spécialisé dans les voyages de pèlerinage (Haj et Omra). Justement, ils sont plusieurs à opter pour le petit pèlerinage (Omra) en attendant la chance de faire le grand. On évoque le chiffre de 40000 Marocains qui effectuent chaque année la Omra.

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Le Haj et les cheveux blancs

Une fois sur place, les pèlerins s’efforcent à remplir leur devoir afin de mériter le statut de haj. A commencer par les Lieux Saints à visiter: la Mecque, Médine, Safa, Marwa, Arafat… Les rituels à respecter : tourner autour de la Ka’aba, prière à Arafat, la lapidation… Et un séjour qui varie de deux à quatre semaines. Le Haj ne se limite toutefois pas à ces seules activités religieuses. Il faut aussi gérer le quotidien. «Il faut faire le marché, gérer la cohue, trouver sa place pour les différents déplacements à faire. Le Haj, c’est aussi une activité physique importante», explique haj Farid qui a effectué son pèlerinage en 2007. Et faire face également à des comportements pourtant incompatibles avec l’esprit du cinquième pilier de l’Islam. «Malheureusement, tout n’est pas parfait dans les Lieux Saints. On se bouscule, on crie, on insulte même parfois, puis on va tout naturellement faire sa prière. Des pèlerins jettent les déchets sur la chaussée. Il y a ceux qui donnent du bakchich pour bénéficier d’un privilège. Quant aux autres, ils sont plus motivés par l’achat de marchandises détaxées que par le rite lui-même», ajoute haj Farid.
Le retour du pèlerin au Maroc est vécu dans la joie et l’allégresse. Il est ainsi fêté et se voit interpellé par les amis, les autres membres de la famille ou encore par les voisins par le prestigieux titre de haj ou hajja. «C’était un peu bizarre les premiers jours de s’entendre appeler par hajja au lieu de mon prénom. C’était pour moi très honorifique, mais également porteur d’une grande responsabilité», raconte Fatéma, la cinquantaine et haja depuis trois ans. D’autres, plus âgés, ne voient aucune différence entre l’avant et l’après le Haj : «Au Maroc, dès que l’on commence à voir des cheveux blancs, c’est Bba lhajj par-ci, Bba lhajj par-là. Pour les autres, j’étais déjà haj avant que je ne fasse le pèlerinage pour de vrai», s’amuse à raconter haj Mustapha, retraité de son état.

Pour beaucoup de personnes interviewées lors de cette enquête, le pèlerinage a été un moment de rupture dans leur vie. «Cela m’a appris à être irréprochable tant dans l’application du dogme que dans mon comportement», explique doctement M. Benkirane. Tous soulignent l’importance de la ponctualité à observer pour effectuer les cinq prières, la lecture quotidienne du Coran… «Chaque fois que je fais ma prière, mon cœur et mon âme reviennent à la Mecque. Le pèlerinage m’a aussi permis de me défaire des pratiques contraires aux préceptes de l’Islam comme la médisance», explique haj Mustapha.

Etre haj peut aussi devenir un fardeau

Et d’ajouter : «Avant, je fumais deux paquets de cigarettes par jour et je dilapidais mon argent dans le péché. Aujourd’hui, je suis serein, je fais des économies et je passe plus de temps avec ma famille, tout ça grâce au pèlerinage».
De retour du pèlerinage, d’autres ont changé leurs vies, mais pas toujours dans le sens désiré par leur entourage. «Mon père s’est métamorphosé depuis son retour du pèlerinage il y a de cela trois ans. Alors qu’il aimait suivre l’actualité, aujourd’hui, il ne regarde même plus la télévision, parce qu’il juge cela l’œuvre de Satan. Il n’est plus sociable et refuse d’aller aux cérémonies de mariage, à cause de la musique et de la mixité», raconte Houcine, un cadre bancaire. Mohamed, lui, est en instance de divorce.

«Ma femme a fait le pèlerinage avec son frère il y a trois ans et, depuis, je ne reconnais plus ma femme. Elle exige de moi de changer complètement, de faire ma prière et d’arrêter de consommer de l’alcool. Devant mon refus, elle ne veut plus de moi alors qu’on est marié depuis trente ans, et que notre mariage avait commencé sur les bancs de l’université par une belle histoire d’amour». D’autres développent un sentiment de supériorité qui les rendent insupportables.

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«Hamid qui était gentil et affable est devenu, après son retour des Lieux Saints, un grand moralisateur, jugeant les gens. Pour lui, tous les Marocains vivent dans le péché parce que pas assez pieux à ses yeux», raconte haj Mustapha sur le compte d’un de ses amis.
Il y a plus insolite. Rachid est notaire de profession à Casablanca. Poussé par sa femme, qui pensait que le haj allait changer ses mauvaises habitudes, Rachid, non sans regret, effectue le pèlerinage avec sa femme. «Je n’avais vraiment pas le choix. Elle avait postulé pour le Haj et le tirage au sort était en notre faveur. Au fond de moi, je savais que je n’étais pas prêt», avoue-t-il. Il allait quand même s’acquitter de tous les rites. Seulement, à son retour, auréolé malgré lui du titre de haj, il se devait de changer de conduite. A commencer par les pots qu’il partageait allègrement avec ses amis au bistrot. «Ce n’était tout simplement plus possible, du moins pas dans les endroits où on savait que j’avais effectué le pèlerinage», soupire-t-il encore. Haj Rachid ne va pas pour autant abandonner sa «pause pot», mais il va chambouler toutes ses habitudes, afin de ne pas être «pris» en flagrant délit de consommation d’alcool. «Avant, je fréquentais les bars du centre-ville, puis j’ai changé d’endroit, j’allais dans un bistrot du côté du quartier Roches Noires. Je pensais avoir la paix», explique-t-il. En fait, l’homme téléphonait à ses amis pour prendre rendez-vous dans sa nouvelle adresse. Mais la nouvelle s’est vite ébruitée et tout le monde autour de lui a su qu’il avait renoué avec l’alcool. «Aujourd’hui, je ne m’en cache plus. Je pense que prendre une bière de temps à autre ne me rend pas moins musulman que d’autres. Puis, il fallait à tout prix mettre fin à cette hypocrisie», conclut-il. Rachid fait toujours ses cinq prières. Il ne prend son verre qu’après la prière du soir…

Hicham Houdaïfa. La Vie éco


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