Najat Vallaud-Belkacem, portrait d’une demoiselle rare

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A l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, retour sur le parcours personnel de la ministre qui prépare une loi-cadre sur l’égalité.

La rencontre a failli ne jamais avoir lieu. Non que Najat Vallaud-Belkacem n’ait pas eu envie de se présenter à La Vie. « Il y a deux ou trois points que je dois éclaircir avec vous », nous a-t-elle même lancé en janvier, lors des vœux à la presse de François Hollande, avec le sourire désarmant qui la caractérise. Mais, agenda chargé, annulation de dernière minute… Il n’est pas aisé de trouver un créneau avec elle. Nous voilà donc, le 13 février dernier, dans son bureau, où trônent la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne d’Olympe de Gouges (1791) et le diplôme de la « Révélation politique de l’année 2012 », mais aucune photo de ses jumeaux. Qui êtes-vous, madame la ministre ?

Au commencement était Najat

De ses origines marocaines, elle a les yeux cernés de khôl, des cheveux ébène, ce prénom qui, en arabe, signifie « sauvée ». Elle assume son attachement au Maroc où elle est née et à la religion musulmane, transmise par ses parents. De ses premiers pas en France, elle se souvient des automobiles, des lave-linge, des appartements. « Je viens d’un hameau où entendre passer une voiture était un événement avec un grand E. On habitait une maison en terre cuite. Je n’ai pas seulement changé de pays à l’âge de 4 ans. Je suis passée de la grande ruralité très pauvre sans accès à l’eau potable à la grande urbanité et à la modernité. » Dans ce village du Rif marocain, elle gardait les chèvres avec son grand-père. Son père Ahmed, ouvrier en France, vient chercher ses enfants et sa femme, prénommée Mamma. Ils s’installent dans une cité d’Amiens. Les fins de mois sont difficiles. Mais la ministre ne verse pas dans le misérabilisme.

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« Je me suis arrachée à ma condition par l’école et par la lecture », explique-t-elle. Elle emprunte ses livres au bibliobus, dévore Mon Bel Oranger, Belle du Seigneur. « La lecture m’a permis de voyager, de me projeter dans d’autres existences possibles, sans aucune censure, juste par l’imagination. Par ailleurs, je suis de bonne composition, je ne m’attarde pas sur ce que je n’ai pas eu, plus jeune. Je suis d’une grande curiosité. Dès que j’arrive dans un milieu nouveau, j’essaie d’en comprendre les codes, les réalités. » Elle s’en imbibe jusqu’à ne plus rien laisser transparaître de son milieu d’origine. « Ma mère, dans nos premières années en France, ne pratiquait quasiment pas le français, ne connaissait pas les codes, cela a été douloureux à vivre, confesse-t-elle. Cela nous a donné envie de maîtriser les codes et de dominer notre environnement après avoir vécu économiquement, socialement en dominés. »

Les parents, qui pratiquent la religion musulmane « de manière traditionnelle et sereine », encouragent leurs sept enfants dans leur scolarité. « Mon père a incarné l’ordre, le cadre ; ma mère, le cocon, l’affection, l’accompagnement. » Alors que la jeune Najat fait ses études à la faculté de droit d’Amiens, elle trouve un prospectus sur Sciences-Po. Elle passe le concours, bien qu’un de ses professeurs la décourage : « trop dur », « trop loin » de son milieu. Mais elle réussit, paie ses études en étant juriste et assistante parlementaire. Une étudiante de sa promotion se souvient : « Najat était brillante, notamment quand elle s’exprimait à l’oral, et très bonne camarade de cours. Ce n’était pas une fille à l’ambition dévorante. » À la bibliothèque de la rue Saint-Guillaume, elle rencontre son futur mari, Boris Vallaud, actuel conseiller d’Arnaud Montebourg. Lui, est reçu au concours de l’Ena ; elle, le rate. En 2008, ils ont des jumeaux, Louis et Nour. Ils choisissent pour eux des prénoms de roi et de reine, qui, tous deux, signifient « lumière ».

À 18 ans, elle s’engage contre les inégalités Nord-Sud, milite à Pharmaciens sans frontières. C’était avant le choc du 21 avril 2002. Ce jour-là, « comme tant d’autres Français de ma génération, j’ai mesuré ma propre responsabilité dans la débâcle démocratique, jusqu’à éprouver un vrai sentiment de culpabilité », écrit-elle dans son livre Raison de plus ! (Fayard). Elle prend sa carte au PS et trouve quelques mentors sur son chemin. À Sciences-Po, elle a rencontré Caroline Collomb, épouse du maire de Lyon. Elle devient chargée de mission au cabinet de Gérard Collomb. Très vite, elle se pique de politique. Culottée, jolie, elle ne passe pas inaperçue.

En 2004, Jean-Jack Queyranne, député du Rhône, lui propose de figurer sur la liste PS des régionales. Elle est élue. À l’époque, elle nourrit un complexe d’imposture, le sentiment de devoir prouver sa légitimité. « C’est propre aux femmes et aux gens qui viennent d’ailleurs, confie-t-elle. C’est aussi un levier de dépassement de soi. Depuis 10 ans, je n’ai jamais arrêté de travailler. » Ségolène Royal, à qui elle propose ses services, voit le bénéfice à tirer de la présence
de cette oiselle dans son équipe. « Jeune, femme, issue de la diversité, elle représente l’équation gagnante, raille un socialiste. En plus, c’est la version “upper” de la beurette. » Traduisez : rien à voir avec Fadela Amara ou Rachida Dati, à l’UMP. La candidate à la présidentielle de 2007 en fait sa porte-parole, tout comme François Hollande, cinq ans plus tard. « Elle est futée, bosseuse, c’est un mélange de compétence universitaire et de volonté politique », admire la sénatrice PS Laurence Rossignol. En outre, Najat ne se départit jamais de son calme. Pour son ami Gwendal Rouillard, député PS du Morbihan, « c’est une combattante tranquille ».

Sa gauche 

Difficile de la classer dans une famille du PS. « Je suis sociale-démocrate sur le plan économique. Sur les sujets de société, je suis progressiste », explique-t-elle. « Du point de vue idéologique, c’est une coquille vide », lui reproche l’un de ses détracteurs du parti. « Est-ce qu’elle croit vraiment en ce qu’elle dit ?, s’interroge un député de droite. Dans quelle mesure n’adopte-t-elle pas une posture transgressive qui lui permet d’exister médiatiquement et politiquement ? C’est moins facile de briller sur la question du chômage… » Elle estime qu’à se montrer ouverte sur le plan des mœurs, il y a au contraire beaucoup de coups à prendre : « Il n’y a aucune stratégie politique de ma part. Je n’ai pas de plan de carrière. » Ainsi a-t-elle été l’une des rares à défendre publiquement la gestation pour autrui. Elle veut être précise sur ce point : « Dans le cadre d’un travail approfondi au PS sur les questions de bio­éthique, j’ai en effet fait partie de ceux qui estimaient possible un encadrement strict de la GPA. Dans les cas où une femme serait prête, par don de soi, à rendre service à un couple stérile, il fallait encadrer cela pour éviter que cela se fasse dans l’illégalité. Au PS, on a considéré que les risques de marchandisation, d’exploitation du corps des femmes étaient beaucoup trop importants pour les courir. Je l’ai compris et accepté. »

« Elle est en phase avec une société des médias », souligne l’abbé Pierre-Hervé Grosjean, l’un des opposants au mariage pour tous avec lequel elle a débattu à la télévision. « Elle suscite un mélange de sympathie et d’admiration, mais derrière ses propos se niche une philosophie très dure et contradictoire avec le sujet de la parité qu’elle défend. » À savoir, la théorie du genre. De fait, elle est très sensible aux questions de l’égalité des droits et des orientations sexuelles. Elle travaille beaucoup avec les courants homosexuels militants, dont l’Inter-LGBT. Son porte-parole, Nicolas Gougain, l’a rencontrée dès 2010, lors d’une convention sur l’égalité organisée par le PS. « Sur nos revendications, elle a été un vrai relais, dit-il. Au sein du gouvernement, elle fait partie des personnes convaincues par nos problématiques, elle est proactive sur les questions des LGBT. » À son sujet, Christine Boutin, présidente du parti chrétien-démocrate, sort de ses gonds : « Elle incarne la gauche libérale-libertaire, un comble pour ses origines ! » En effet, que pensent Ahmed et Mamma des idées transgressives de leur fille ? « Ils ne me reprochent pas mes prises de position, raconte-t-elle. Ils sont ouverts, ne représentent pas un frein, mais je ne sais pas ce qu’ils en pensent. »

Elle assume la contradiction entre ses choix de vie privée et ses engagements publics. Au début de la vie de ses jumeaux, Louis était habillé en bleu, Nour en rose, et tant pis pour les stéréotypes de genres qu’elle combat aujourd’hui. Mariée, mère de deux enfants, elle a un parcours de vie plutôt classique. « Je crois beaucoup à la cellule familiale, à ce qu’elle apporte à l’individu. C’est pour cela que je veux offrir au plus grand nombre la possibilité d’y accéder. »

« Féméniste » ou féministe ?

Nous la rencontrons juste après l’action des Femen, qui se sont exhibées seins nus dans Notre-Dame. « Il m’est arrivé de les soutenir dans leurs combats, admet-elle. Cela étant, je comprends que ce type d’action choque. Ce n’est pas ma façon de concevoir le débat public. » Elle est plus féministe que « féméniste », donc. « Elle a rebâti ce ministère qui était resté celui des tricots », admire Marie Donzel, auteure féministe du blog Ladies & Gentlemen. Elle travaille sur des questions plus compliquées que la simple répartition des tâches ménagères. La ministre explique : « La première génération de droits pour les femmes, juste après la Seconde Guerre mondiale, a supprimé de la loi les discriminations qui leur étaient faites ; dans les années 1970-1980, la deuxième génération a donné aux femmes des droits liés à leur condition de femmes, comme la contraception et l’IVG ; la troisième génération consiste à appliquer effectivement les lois, notamment sur l’égalité professionnelle et à s’attaquer aux racines des inégalités en travaillant sur les clichés, les représentations, les stéréotypes encore trop véhiculés par l’école, les médias, le sport, la culture. »

Si elle vient au féminisme par son combat pour l’égalité, le parcours de sa mère y est aussi pour quelque chose : « Ma mère, une femme formidable, aurait voulu être libre, faire des études, travailler : c’est elle-même qui m’a incitée et aidée à ne pas avoir le même destin, la dépendance économique, l’horizon restreint… Elle m’a bercée aux jolis mots d’indépendance, d’émancipation, de liberté. »

L’Église, Dieu et elle 

Quand, en septembre dernier, le cardinal Barbarin associe le mariage pour tous à la possibilité de l’inceste, sur RCF, Najat Vallaud-Belkacem ne se joint pas à la bronca. Elle l’appelle et vérifie s’il a vraiment tenu les propos qui lui sont prêtés. « Jamais je n’ai été prise en délit de stigmatisation des religions », se rengorge-t‑elle. Gwendal Rouillard confirme : « Elle comprend la place des religions dans la société, elle a toujours combattu les laïcards. » Elle a la foi. « Je suis croyante. Musulmane par héritage en quelque sorte. C’est une histoire de culture, de tradition, de racines… Je n’ai pas réinterrogé cela. Je n’ai pas été une pratiquante régulière. Quand j’étais plus jeune, je me tournais vers Dieu pour l’appeler à l’aide quand un ami était gravement malade ou, plus prosaïquement, pour qu’il m’aide a réussir un examen… » Et dans un éclat de rire, elle précise qu’Il ne lui est pas apparu

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